Création de la notice : René Bianco

Bi 1125-1126

L’Homme libre

organe de combat pour l’émancipation des travailleurs


Parution : 1891-1892





Administration, impr. : Ferdinand Pintelon, rue de Tilly, 22 ; Bruxelles
puis
L’auteur : F. Pintelon à Chapelle-Herlaimont (Hainaut)
Administration, atelier typogr. : 14, rue Vésale ; Bruxelles
puis
Administration, impr. typogr. : 35, rue St-François, Saint-Josse-ten-Noode (Bruxelles)

Programme annoncé dans le 1er numéro (11 avril 1891) :

Programme

 
Nous sommes anarchistes.
— Ah !
— Oui, anarchistes. Nous le proclamons tout haut, car il n’y a que la vérité, hautement pro-clamée, toute la vérité et rien que la vérité — comme on dit dans les tribunaux — qui puisse sauver une société prête à s’effondrer sous le poids (le ses maux et de ses crimes.
 
L’avenir, quoi qu’on dise, n’est. pas rosé. Nous le voyons sombre, bien sombre, peut-être plus sombre que le présent. Assurément le temps est aux charlatans, aux mystificateurs, aux magiciens, qui vous promettent de vous changer aux coups leur baguette — soit-elle le suffrage universel ou toute autre — de malheureux esclaves, que vous êtes, en véritables souverains, en petits patrons d’abord et, finalement, en bourgeois bien repus, comme vos exploiteurs actuels.
 
Nous, anarchistes, nous croyons que l’ouvrier ne gagnera le pain de la vie qu’à la sueur lie son front, c’est-à-dire qu’il ne conquérera le bien-être et la liberté que par des efforts persévérants et par des luttes de plus ’en plus formidables. Nous voyons priant dans les promesses séduisantes que les politiciens font aux ouvriers un terrible guet-apens. Nous craignons que le Peuple, en les suivant, ne se laisse entrainer sur un terrain choisi par ses ennemis pour la bataille, où il ne pourra qu’are vaincu, et où il ne récolterait en tous cas que d’amères désillusions.
 
Nous sommes donc les ennemis déclarés de ces politiciens, nous nous constituons leurs accusateurs devant le tribunal du Peuple. Nous avons l’œil sur eux ; nous les chassons de leurs repaires, nous crions : gare aux filets qu’ils tendent au Peuple. Oui, nous avouons qu’ils nous font peur ; car, non le Gouvernement, non la Bourgeoisie, mais eux — eux seulement — peuvent fourvoyer le progrès et la révolution, et convertir la victoire’ imminente du Prolétariat en une tragique défaite.
 
Que disons-nous ? Le méfait est en partie accompli. Des foules d’hommes, courbés sous le travail, fouettés par la misère, aspirent à la délivrance, à la liberté et à la justice, qu’ils n’ont connues jusqu’à présent que dans leurs rêves, — rêves précurseurs de la réalité. Ces millions de frères, hier encore tous joyeux d’espoir, tous fiers de leur rôle de pionniers, tous unis pour le combat, tous prêts à donner leur vie pour la cause, élevaient et déployaient en face de l’ennemi l’étendard sur lequel était écrit :
« Abolition du Salariat. Plus de Propriété instrument d’exploitation et de domination. Plus de Gouvernement instrument du despotisme et de spoliation. Libre travail en des libres Associations : et libre jouissance au sein de la fraternité humaine ».
 
Elles étaient, hier encore, les revendications unanimes de la masse des travailleurs.Eh bien, ne voyons-nous pas aujourd’hui un bon nombre de ceux-ci prosternés aux pieds du Gouverne-ment pour implorer des réformes qu’ils devraient repousser avec indignation, car elles sont la sanction du système actuel ?
 
Se laissant traîner à la remorque par les partis politiques, qui les payent de bons mots et de promesses à échéance infinie, ils rivent les les chaînes de leur esclavage de leurs propres mains.
 
Où est l’élan d’autrefois ? Où sont les grandes revendications de l’Association Internationale des Travailleurs Où sont ces jours de bataille, attendus avec des battements (le cœur parles bourgeois effarés et par les travailleurs auxquels souriait l’avenir ? Que sommes-nous devenus aujourd’hui ? quelles sont les ’grandes initiatives, quels sont les actes magnanimes dont l’histoire nous accréditera ? quel est l’exemple que nous laissons à ceux qui viendront après ?
 
Comme nous sommes changés ! comme nos sentiments sont devenus méprisables ! Voilà qu’il suffit que quelqu’un commet lei acte de courage, pour que les autres, qui se sentent à jamais incapables de l’imiter, lui tombent dessus, et le traitent de mouchard, sans même se donner la peine de connaître qui c’est. Il suffit qu’il y ait une poignée d’hommes, se fichant de tous les palliatifs inventés. par les politiciens multicolores, et déclarant ouvertement qu’ils n’attendent leur délivrance que de leur courage et de leur énergie, pour que ceux qui prétendent monopoliser la représentation de la classe ouvrière et qui ne monopolisent, en effet, que la caisse des ouvriers (nous le leur prouveront, qu’ils nous attendent seulement), accablent de leurs injures et de leurs calomnies ce parti, qui. a donné au martyrologe ouvrier des hommes comme les pendus de Chicago, et prés. tendent de ne voir parmi les anarchistes que des agents provocateurs !
 
Et ce n’est pas le seul signe de la décadence morale de cette partie de l’armée socialiste, qui a cherché le contact de la Bourgeoisie et a été. infectée de toutes les bassesses dont celle-ci est capable. Autrefois, les bataillons ouvriers étaient organisés contre tout ce que était bourgeois — car tout ce qui est bourgeois est ennemi de la classe ouvrière — aujourd’hui, ils ne paradent que trop souvent à la suite et sous les ordres de tel ou tel autre parti politique.
 
Les congrès ouvriers, autrefois si marquants, que sont-ils devenus, sinon de pitoyables conciliabules de politiciens demandant toujours plus de lois, plus d’inspections, plus d’amendes, plus de police et de tribunaux et partout plus de maîtres et plus d’impôts à payer, comme les grenouilles imploraient bêtement un roi de Jupiter ? L’arme du combat peut-elle ne pas tomber des mains jointes pour prier ?
 
Assez d’humiliations, assez de compromis, parbleu ! Il est temps de s’arrêter sur cette pente qui nous amène à l’abîme, où vont se perdre toutes nos peines et toutes nos espérances !
 
Après avoir beaucoup imploré et infiniment attendu, rien ne. s’est vu et rien ,ne se verra. La situation de l’ouvrier n’a pas changé. La cause de son esclavage et de sa misère n’a pas disparu. — La division de la société en deux classes, l’une d’oppresseurs, l’autre d’opprimés, l’une d’exploiteurs, l’autre d’exploités, l’une de jouisseurs, l’autre de travailleurs, est aujourd’hui plus. marquée que jamais. La conciliation est impossible la_ lutte inévitable,. Elle va éclater.
 
Quelle qu’en soit l’occasion ou le prétexte — nous, anarchistes, nous serons à notre place. Nous remplirons. notre devoir. Mais nous somme aussi décidés à ne pas cesser de - com-battre jusqu’à ce qu’il ait une injustice à détruire, ou une victime à rédimer ; jusqu’à ce que la mine ne sera. pas au mineur, la terre au paysan ; l’usine à l’ouvrier et la liberté et le bien-être à tous ; jusqu’à ce qu’il reste le moindre débris (le la Propriété Individuelle et de l’État !
 
Car, remarquez-le bien, la Propriété Individuelle et l’État, et toutes les institutions qui oppressent la classe- ouvrière, sont elles-mêmes des débris de féodalisme, ou plutôt ont évolué des débris de féodalisme, qu’une Révolution incomplète laissa imprudemment subsister !
 
Pas d’erreur cette fois ; pas d’arrêt à moitié chemin. Notre drapeau — dont les couleurs mettent l’effroi au cœur de l’ennemi — le drapeau rouge de sang de nos martyrs porte écrit :
« Abolition complète du Salariat. — La mine au mineur, la terre au paysan. l’usine à l’ouvrier, la liberté et le bien-être à tous — et à personne le droit d’exploiter ses semblables ni de les commander. »
 
L’Homme libre
 
Tel est notre programme.
 
En conformité de ce programme, nous publierons, dans les numéros suivants de ce journal, des articles concernant les nouveaux dadas des partis radical et socialiste, la révision, le suffrage universel, le referendum, l’impôt progressif et autres mystifications en vogue ; — le Parti ouvrier en Belgique, son organisation, ses alliances et son rôle actuel ; — le socialisme allemand, si peu connu et si universellement singé.
 

 
Notre lutte sera loyale et ouverte. En combattant les mystifications dont l’ouvrier est victime, nous n’avons d’autre but que de servir la vérité et de hâter le triomphe du Prolétariat.
 
Pas de rancune pour des hommes que d’ailleurs nous ne connaissons pas personnellement, et dont plusieurs (nous voulons bien le croire) sont plutôt menés que meneurs.
 
Pas d’amour du scandale. Nous nous adressons aux masses et nous leur parlons le langage qu’elles comprennent le mieux, le langage des faits. Nous nous gagnerons d’ailleurs volontiers la haine de quelques politiciens impitoyablement démasqués, si nous pouvons nous gagner en même temps l’amour du peuple.
 

 
Tous ceux qui veulent coopérer avec nous sont les bienvenus à la rédaction du journal.
 
Nos camarades de province sont spécialement invités à nous écrire souvent et à nous renseigner sur les faits qui se passent dans leurs localités respectives. Nous ne pouvons pas leur promettre que leurs correspondances seront toujours intégralement publiées, cela n’étant pas entièrement en notre pouvoir. Mais elles nous seront toujours très utiles, pour nous diriger et conseiller dans la lutte journalière.
 
Surtout, il importe qu’en chaque localité se forment des groupes se chargeant spécialement de la distribution du journal dans les réunions ouvrières et partout où elle peut se faire ; sa vie matérielle est aussi pour un journal, comme pour l’homme, le fondement de sa vie morale.
 
L’Homme libre est un nouveau compagnon de lutte, qui entre dans nos rangs, pour y porter de l’élan, de l’enthousiasme ; — et il demande à être accueilli en frère d’armes par tous ceux qui combattent pour l’émancipation du Peuple.

Parutions :

  • première année
  • nº 1 (1891, 11 avr.)
  • nº 2
  • nº 3
  • nº 4 (1891, 4 mai)
  • nº 5
  • nº 6
  • nº 7
  • nº 8
  • nº 9
  • nº 10
  • nº 11
  • nº 12
  • nº 13
  • nº 14
  • nº 15
  • nº 16
  • nº 17
  • nº 18 (1891, 22 aout)
  • nº 19
  • nº 20 (1891, 5 sept.)
  • nº 21 (1891, 12 sept.)
  • nº 22
  • nº 23
  • nº 24
  • nº 25
  • nº 26
  • nº 27 (1891, 28 nov.)
  • nº 28
  • nº 29
  • nº 30
  • nº 31
  • nº 32 (1892, 20 févr.)
  • nº 33
  • nº 34
  • nº 35 (1892, avr.)
  • Deuxième année
  • nº 1 (1892, 23 avr.)
  • nº 2
  • nº 3
  • nº 4
  • nº 5 (1892, 25 juin)
  • nº 6
  • nº 7
  • nº 8
  • nº 9
  • nº 10 (1892, 8 oct.)
  • nº 11
  • nº 12 (1892, 19 nov.)
  • nº 13 (1892, 10 déc.)